Avant-propos (avril 2025) :
Dans cette note publiée en juillet 2020, j’affirmais avoir décelé une coquille dans l’apparat critique de La Guerre d’Afrique d’Alphonse Bouvet. Cependant, en effectuant des vérifications dans les manuscrits, j’ai récemment constaté que cet éditeur était finalement le seul à avoir proposé une lecture correcte (mais manifestement incomplète) de la leçon transmise par U en BAfr 60, 1. J’indique en rouge les inexactitudes de mon texte d’origine et je rectifie le tir dans des encadrés tenant compte de mes recherches récentes.
Pour une mise au point sur le problème des légions dans les éditions modernes du corpus césarien, je vous invite à consulter mon premier article :
Batiste Gérardin, « Le nombre, l’identité et l’origine des légions du Bellum Africum », dans Nuova Antologia Militare, 6, fasc. 22, p. 253-286. [télécharger au format PDF]
Je signale dans ce billet deux erreurs rencontrées dans les éditions du Bellum Alexandrinum et du Bellum Africum, publiées en 1954 et en 1949 dans la Collection des Universités de France. Elles ont été repérées dans leur tirage le plus récent (2002). J’en profite pour esquisser des pistes de réflexion au sujet de problèmes de fond posés par ces deux éditions de textes du corpus césarien.
1) Une étourderie dans la traduction du Bellum Alexandrinum :
La première erreur se trouve dans la traduction de BAlex, 53, 5 par Jean Andrieu :
« (…) César avait accordé à Longinus la trentième et la vingt-deuxième légion levées peu de mois avant en Italie » (Pseudo-César, Guerre d’Alexandrie, page 52).
Tandis que la traduction cite la XXIIe légion, l’ensemble des manuscrits, le texte latin établi par Jean Andrieu (similaire à celui de l’ensemble des éditeurs scientifiques du Bellum Alexandrinum sur ce point) et le contexte historique indiquent clairement qu’il est question de la XXIe légion :

Il est dommage que les tirages ultérieurs de la Guerre d’Alexandrie n’aient pas été mis à profit pour rectifier cette maladresse du traducteur, certainement remarquée par beaucoup.
2) Une coquille dans l’apparat critique du Bellum Africum :
La seconde erreur figure dans l’apparat critique établi par Alphonse Bouvet pour BAfr, 60, 1 :

En effectuant un travail de vérification, j’ai constaté que la leçon « XXVII » indiquée par Bouvet pour le manuscrit U était erronée. En réalité c’est la XXIXe légion qui était initialement indiquée sur ce manuscrit et une seconde main a cru bon — à tort1 — de rectifier « XXVIIII » en « XXVIII ».
L’erreur de Bouvet peut être corrigée en se reportant à l’édition établie en 1901 par René du Pontet (numérisation ci-dessous) ou à celle d’Alfred Klotz, publiée en 1927 dans la Bibliotheca Teubneriana. Pour qu’il corresponde aux leçons transmises par les manuscrits, il aurait fallu que l’apparat critique de l’édition CUF indique : « XXVIIII U1R : XXVIII SN, M, U2, TV ».

Rectificatif (avril 2025) :
La consultation d’une numérisation de U, disponible sur le site internet de la Bibliothèque apostolique vaticane, donne finalement raison à Alphonse Bouvet : c’est bien un XXVII qui figure, sur ce manuscrit, entre les XIVe et XXVIe légions (au début de la troisième ligne sur l’illustration ci-dessous).

Consultable à cette adresse : https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.lat.3324
La leçon fautive donnée par Pontet et Klotz remonte à l’édition du corpus césarien publiée en 1867 par Johann Friedrich Dübner. Cet éditeur, le premier à avoir utilisé U, n’a pas été en mesure de faire venir ce manuscrit à Paris : il a travaillé à partir d’une collation effectuée au Vatican par l’un de ses collaborateurs, Reinhard Kekulé von Stradonitz. Dans son apparat critique, Dübner indique à tort que le nombre XXVIIII a été corrigé en XXVIII par une deuxième main. Cette erreur est reproduite par tous les éditeurs suivants, de Wölfflin (1889 et 1896) à Klotz (1927) en passant par Schneider (1905), aucun d’eux n’ayant eu accès au manuscrit. En 1949, Bouvet est en capacité de la corriger car il dispose d’épreuves photographiques de U, ce qui lui permet d’en effectuer une nouvelle collation (Guerre d’Afrique, p. LII), mais il ne semble pas remarquer que la leçon XXVII résulte vraisemblablement d’une correction.


La numérisation permet de constater que le dernier I du nombre XXVII est anormalement régulier par rapport au I final des autres numéros légionnaires, dont la hampe est systématiquement prolongée vers le bas (VIII, XXVIII, XIII, XIIII) ou légèrement à droite (XXVI). L’absence de ponctuation entre le XXVII et le XXVI est elle aussi suspecte, car le copiste a séparé tous les autres nombres par des points. En dépit de sa qualité, l’image ne permet pas de constater visuellement le grattage, d’autant plus que l’espace entre les deux nombres est encombré par un filigrane de la Bibliothèque apostolique vaticane. Cependant, il y a de fortes chances pour que des traces de correction soient visibles sur le codex. Cela expliquerait le fait que Kekulé, l’unique philologue à l’avoir examiné de près, ait signalé l’intervention d’une seconde main sur le numéro légionnaire qui nous intéresse.
Compte tenu du peu de place disponible, il est peu probable que le manuscrit ait initialement comporté un XXVIIII à cet endroit. Il devait plus vraisemblablement s’agir d’un XXVIII, comme sur les codices S, M, T et V. Le manuscrit U aurait ainsi comporté la même erreur que STV, sur lesquels la XXVIIIe légion figure en deux endroits du centre dans l’ordre de bataille césarien d’Uzitta. Cette hypothèse permettrait de comprendre qu’un copiste ait tenté de corriger le texte, en grattant le I final de l’un des XXVIII pour en faire un XXVII. La seule façon qu’il y aurait de vérifier cette hypothèse serait d’effectuer une vérification dans le manuscrit du Vatican. Dans tous les cas, la XXVIIe légion ne peut en aucun cas avoir participé à la campagne africaine de César (« Le nombre, l’identité et l’origine des légions du Bellum Africum », p. 262, n. 45). Pour cette légion, je propose d’adopter la leçon transmise par le manuscrit M et de faire figurer les informations suivantes dans l’apparat critique : « XXVIII SN, M, U1, TV : XXVII U2 : XXVIIII R ».
3) Quelques problèmes de fond :
Au-delà de ces petites erreurs formelles, l’édition de ces deux textes soulève des problèmes de fond, qui mériteraient de faire l’objet de développements ultérieurs.
Il y a par exemple, chez Jean Andrieu, le parti-pris de considérer la legio uernacula comme une légion composée de pérégrins espagnols. Cela s’explique par le fait que l’on a longtemps cru à l’existence, au cours de la période tardo-républicaine, d’une catégorie de légions irrégulières dont les soldats n’étaient pas des citoyens romains. Ces unités étaient qualifiées de « légions vernaculaires » (legiones vernaculae) par les tenants de cette thèse, par opposition aux légions régulières, qu’ils présentaient alors comme des iustae legiones (expression que je soupçonne d’avoir été forgée pour l’occasion).
Cette thèse a rencontré beaucoup de succès à partir du XIXème siècle, mais elle a fini par être abandonnée au début des années 19702.
Compte tenu du contexte dans lequel il a établi son édition critique du Bellum Alexandrinum, il n’est pas étonnant qu’Andrieu ait choisi de traduire « uernacula » par « indigène ». L’adjectif n’est pas complètement faux, mais il comporte une connotation particulière, liée à la conviction du traducteur de ne pas avoir affaire à une légion véritablement romaine. Dans la mesure où il est désormais largement admis que la legio vernacula était composée de citoyens romains installés dans la péninsule ibérique3, la notice, la traduction et les notes de bas de page de l’édition CUF du Bellum Alexandrinum mériteraient d’être révisées en ce sens4.
L’un des problèmes soulevés par l’édition du Bellum Africum (il y en a sans doute d’autres) porte sur la question des légions mentionnées par l’auteur anonyme. Le texte latin établi en 1949 par Alphonse Bouvet souffre en effet des mêmes travers que toutes les éditions de ce texte depuis celle publiée en 1847 par Carl Nipperdey, à savoir des modifications totalement injustifiées du texte latin. En l’absence d’argument valable, il me semble en effet inadmissible de modifier le texte quand sept manuscrits — dont Carl Nipperdey ne connaissait que quatre — sur les sept qui nous sont parvenus donnent la même leçon.
Rectificatif (avril 2025) :
En 1949, Bouvet utilisait sept manuscrits (SNMURTV) pour établir le texte en BAfr 60, 1. Des travaux philologiques menés par Virginia Brown puis Cynthia Damon ont permis d’identifier SMUTV comme les cinq codices les plus fiables. Comme ces deux spécialistes le signalent dans leurs ouvrages, Nipperdey a utilisé des leçons de T, de V et d’une copie de U pour son édition du corpus césarien. En revanche, il n’en disposait que de transcriptions parfois très incomplètes. Pour établir le texte du Bellum Africum, les quatre codices employés par ce philologue correspondent en réalité à un seul témoin : T, désigné par la lettre a dans son édition. Nipperdey ignorait que ses autres manuscrits, le Leidensis primus (b), le Scaligeranus (c) et le Cuiacianus (d), étaient des copies de T, inutiles à l’établissement du texte. Je me suis donc trompé en affirmant qu’il connaissait quatre des sept codices les plus fiables : il n’en disposait en réalité que d’un seul (sur ce sujet, voir « Le nombre, l’identité et l’origine des légions du Bellum Africum », p. 253-258).
Le cas le plus flagrant est celui de la XXXe légion, qui est devenue arbitrairement la XXVe dans toutes les éditions du Bellum Africum et la plupart des travaux d’historiens, sans qu’aucun argument recevable n’ait jamais été produit à l’appui de cette émendation5 [note 5].

Complément d’information (avril 2025) :
Intrigué depuis longtemps par ce sujet, que j’avais déjà abordé dans mon mémoire en 2009 (La légion des Alouettes, p. 91-95), je me suis décidé à rouvrir le dossier lors de l’été 2020. Ce travail de recherche, qui m’a permis de découvrir énormément de choses dans le domaine de la philologie, a débouché sur la rédaction de mon tout premier article, dont les références sont indiquées ci-dessus, dans l’avant-propos.
Notes :
- Cette correction pose problème car elle fait apparaître deux fois la XXVIIIe légion dans l’ordre de bataille césarien, ce qui est impossible. Le même souci est également présent dans les manuscrits S, N, T et V. Les seules leçons plausibles sont celles du manuscrit M, qui mentionne d’abord la XXIXe puis la XXVIIIe, et celles des manuscrits U (avant sa correction par une seconde main) et R, qui citent la XXVIIIe puis la XXIXe. ↩︎
- Pour une mise au point sur les « légions vernaculaires », voir B. Gérardin, La légion des Alouettes, Besançon, 2009, p. 43-47, 79-87 et 107-108. Consultable en ligne par ici. ↩︎
- Les travaux déterminants sont ceux d’E. Gabba (« Aspetti della lotta di Sesto Pompeo in Spagna », dans Esercito e società nella tarda repubblica romana, Florence, 1973, p. 475-480), J.M. Roldán Hervás (« Legio vernacula, ¿Iusta legio? », dans Ejercito y sociedad en la España Romana, Grenade, 1989, p. 203-223) et F. Cadiou (Hibera in terra miles. Les armées romaines et la conquête de l’Hispanie sous la République (218-45 av. J.-C.), Madrid, 2008, p. 612-627). Cf. B. Gérardin, op. cit., p. 43-47. Contra : A.T. Fear, « The Vernacular Legion of Hispania Ulterior », dans Latomus, 50-4, 1991, p. 809-821 ; idem, Rome and Baetica: Urbanization in Southern Spain, c.50 BC-AD 150, Oxford, 1996, p. 51-54. ↩︎
- Une nouvelle édition du Bellum Alexandrinum permettrait en outre de prendre en compte l’important renouveau historiographique sur cette question. Je pense notamment à l’ouvrage de J.F. Gaertner et B.C. Hausburg : Caesar and the Bellum Alexandrinum: An Analysis of Style, Narrative Technique, and the Reception of Greek Historiography, Göttingen, 2013. ↩︎
- L’émendation de « XXX » en « XXV » malgré l’unanimité des manuscrits a notamment été critiquée par A. von Domaszewski, P. Groebe, S. Gsell, H.M.D. Parker et L. Keppie. Pour une synthèse sur le sujet, voir B. Gérardin, op. cit., p. 91-95 (avec toutes les références p. 92, n. 283). ↩︎
Éditions de textes consultées :
Pseudo-César, Guerre d’Alexandrie, texte établi et traduit par J. Andrieu, Paris, Les Belles Lettres, 1954. Troisième tirage : 2002.
Pseudo-César, Guerre d’Afrique, texte établi et traduit par A. Bouvet, révision par J.-C. Richard, Paris, Les Belles Lettres, 1997² (1949). Deuxième tirage : 2002.
C. Iulii Caesaris commentarii cum supplementis A. Hirtii et aliorum. Caesaris Hirtiique fragmenta, texte établi par C. Nipperdey, Leipzig, 1847.
C. Ivli Caesaris Commentariorvm, pars posterior, Libri III de bello civili cvm libris incertorvm avctorvm de bello Alexandrino Africo Hispaniensi, texte établi par R. Du Pontet, Oxford, Clarendon Press, 1901. Neuvième tirage : 1961.
C. Ivli Caesaris commentarii, III, Commentarii belli Alexandrini, belli Africi, belli Hispaniensis accedvnt C. Ivli Caesaris et A. Hirti Fragmenta, texte établi par A. Klotz, Stuttgart-Leipzig, Teubner, 1993² (1927).
Complément bibliographique (avril 2025) :
C. Iulii Cæsaris commentarii de bellis Gallico et civili, aliorum de bellis Alexandrino, Africano et Hispaniensi, deux tomes, texte établi par J.F. Dübner, Paris, 1867.
Pour télécharger une version PDF de ce billet revu et corrigé, cliquez ici.